- PÉDAGOGIE - Les courants modernes
- PÉDAGOGIE - Les courants modernesDans l’évolution pédagogique, des phases d’intense élaboration doctrinale ou de transformation des institutions alternent avec des phases plus calmes, vouées à la lente diffusion des idées ou à la consolidation des structures scolaires.Les temps forts de l’histoire de l’éducation se situent à différents niveaux de la réalité pédagogique: anticipations géniales ou utopiques, projets répondant aux exigences d’une époque, réalisations effectives. Faute d’une distinction suffisante entre ces différents plans, entre ce qui se proclame ou se désire et ce qui se fait, on peut être conduit à nier toute évolution.La sélection des grands moments de la pédagogie engage une certaine conception de l’objet même de l’histoire. Il s’agit, pour L. Goldmann par exemple, de retenir «les actions humaines de tous les lieux et de tous les temps, dans la mesure où elles ont eu ou ont maintenant une importance pour ou une influence sur l’existence et la structure d’un groupe humain et implicitement, à travers celui-ci, une importance pour ou une influence sur l’existence et la structure humaine présente ou future».Aussi, dans l’ordre de la pédagogie, les actions «sélectionnées» tirent-elles leur signification de la manière dont elles accélèrent ou mettent en cause la réalisation d’un schéma évolutif qui porte successivement au devant de la scène les universités médiévales, les collèges secondaires de l’Ancien Régime et les institutions d’éducation populaire des XIXe et XXe siècles. Il convient de préciser que cette construction à partir du sommet va de pair avec le développement d’une tendance à la démocratisation et avec l’élaboration d’une pédagogie nouvelle, soucieuse d’intégrer les progrès accomplis dans la connaissance des élèves à former et dans celle des disciplines ou des supports de l’enseignement.L’accroissement et la diversification de la population scolaire et universitaire entraînent, à la fois, une différenciation des institutions et un renouvellement des finalités de l’école. À côté de la conservation du patrimoine culturel prennent place la production de connaissances nouvelles et, surtout dans les pays qui ont accédé récemment à l’indépendance, la fonction d’intégration nationale.Les grandes lignes de cette évolution complexe seront illustrées (à partir du XVe siècle) au moyen de quelques exemples privilégiés qui en souligneront tour à tour les aspects doctrinaux et les formes institutionnelles.1. Aux sources de l’éducation nouvelle: Érasme et RousseauDe nombreux auteurs ont contribué à l’édification des principes que les pédagogues du XXe siècle ont regroupés sous le terme d’éducation nouvelle. Parmi ces auteurs, Érasme (1469-1536) et Rousseau (1712-1778) ont préconisé une pédagogie progressive, fondée sur une meilleure connaissance de l’élève, et souligné l’importance de la relation éducative.La relation pédagogique chez ÉrasmeÉrasme a vécu à une époque de transition, particulièrement fertile en contrastes. Il a connu successivement une enfance malheureuse aux Pays-Bas, le climat austère et contraignant des monastères, l’enseignement scolastique des collèges médiévaux, l’éclat de la Renaissance italienne et les débuts de la Réforme luthérienne. Tirant au besoin ses informations et ses justifications de la lecture de Quintilien ou d’autres auteurs de l’Antiquité, il est ainsi conduit à dénoncer, d’une part, le pédantisme, la cuistrerie et la brutalité des maîtres et, d’autre part, la pratique des châtiments corporels, à l’école ou dans la famille.Il oppose à ces comportements une conception éducative qui fait une large place aux différentes formes de relations. Les tentations et les vices qui menacent le jeune enfant, marqué par le péché originel, commandent l’organisation d’un milieu familial propre à assurer une meilleure éducation: «Dieu demandera des comptes aux parents de toutes les fautes qu’auront pu commettre leurs fils.» L’importance des besoins affectifs précoces et des émotions dans la communication avec autrui impose l’établissement de relations affectueuses entre la mère et l’enfant. Dans la famille, un précepteur, choisi avec discernement, guide l’enfant pendant toute sa formation. Les relations entre le maître et l’élève reposent sur la raison et l’amour. L’intérêt pour l’étude découle de l’affection pour le maître et de la mise en œuvre d’une pédagogie attrayante, fondée sur les jeux et les récompenses.Quant aux relations entre élèves, l’individualisme qui s’épanouit dans le climat de la Renaissance et de la Réforme paraît justifier l’émulation et la compétition dont les collèges de l’Ancien Régime exploiteront habilement les possibilités pédagogiques. Érasme redoute cependant les effets néfastes de toute conduite d’échec.L’amélioration des rapports entre l’école et la société, la démocratisation de l’enseignement doivent procéder de la magnanimité d’un prince éclairé. En cela, l’œuvre d’Érasme anticipe certaines conceptions idéologiques du XVIIIe et même du XIXe siècle.Innovation et conciliation chez RousseauSi Érasme fonde l’action éducative sur le jeu des intérêts extrinsèques suscités par une pédagogie attrayante, Rousseau considère qu’il faut partir des besoins réels et profonds de l’enfant et qu’on doit créer des situations dans lesquelles les apprentissages scolaires apparaissent comme des moyens propres à satisfaire ces besoins. Une véritable éducation fonctionnelle repose, en outre, sur la reconnaissance que «chaque âge, chaque état de la vie a sa perfection convenable». Elle implique également la prise en considération des différences interindividuelles et des étapes de l’évolution psychologique de l’enfant. Rousseau se présente ainsi comme un psychologue novateur dont les intuitions et les recommandations inspireront les pionniers de l’éducation nouvelle.Mais, selon G. Snyders, le révolutionnaire cède la place au conciliateur lorsqu’on passe de la psychologie à la pédagogie. En matière de finalités, «il faut opter entre faire un homme et faire un citoyen, car on ne peut faire à la fois l’un et l’autre». Cependant, après avoir opté pour l’homme dans l’Émile et pour le citoyen dans les Considérations sur le gouvernement de Pologne , Rousseau s’efforce, dans le Contrat social , de concilier les besoins de l’individu privé et les exigences de la vie publique. Dans le domaine des méthodes, l’opposition entre l’autorité et le laisser-faire trouve une issue dans l’éducation négative qui repose sur la soumission à l’égard des choses et non des hommes. De même, l’opposition entre l’austérité et l’éducation dans la joie est dépassée par le développement du sens du présent, impliquant à la fois la libération de l’élan spontané et l’expérience de la nécessité.L’attitude synthétique ou conciliatrice de Rousseau reflète, dans une certaine mesure, l’ambiguïté de la situation sociale de l’auteur et les contradictions propres à toute période prérévolutionnaire. Elle procède aussi, selon P. Burgelin, d’une méthode antinomique d’analyse qui consiste à envisager les notions par couples (nature-société, bonté-méchanceté) et à rapprocher ce qui a été préalablement opposé.Quoi qu’il en soit, les conceptions de Rousseau affleurent parfois dans les projets scolaires présentés par les législateurs de la Révolution.2. Le thème de la démocratisation dans les projets révolutionnairesLes transformations qui, au XIXe siècle, affectent l’Europe et indirectement le reste du monde découlent, en grande partie, de la révolution industrielle anglaise des années 1780 et de la révolution politique française des années 1789-1799. Cette dernière comporte deux phases contrastées. La première est marquée par la hardiesse des projets et la faiblesse des réalisations. La seconde, inaugurée par la chute de Robespierre, est caractérisée, au contraire, par le recul des idées et l’ampleur des réalisations. Deux projets dominent la première phase: le rapport présenté en 1792 par Condorcet (1741-1794) à l’Assemblée législative et le plan de L. M. Le Peletier de Saint-Fargeau (1760-1793) lu en 1793 à la Convention par Robespierre.La formation continue dans le rapport de CondorcetHéritier du mouvement encyclopédiste, Condorcet considère que l’individu et l’espèce humaine sont perfectibles et que cette perfectibilité découle des progrès corrélatifs de l’instruction et des sciences. En outre, le progrès technique est censé libérer l’homme pour des activités de formation. Aussi, Condorcet préconise-t-il la gratuité, la laïcité et l’égalité des sexes vis-à-vis de l’instruction.Dans un vaste ensemble scolaire et universitaire à cinq degrés, Condorcet fait une place à la formation des adultes. «En continuant l’instruction pendant toute la durée de la vie, déclare-t-il, on empêchera les connaissances acquises dans les écoles de s’effacer trop promptement de la mémoire; on entretiendra dans les esprits une activité utile; on instruira le peuple des lois nouvelles, des observations d’agriculture, des méthodes économiques qu’il lui importe de ne pas ignorer. On pourra lui apprendre enfin l’art de s’instruire par soi-même, comme à chercher des mots dans un dictionnaire, à se servir de la table d’un livre, à suivre sur une carte, sur un plan, sur un dessin, des narrations ou des descriptions, à faire des notes et des extraits...»Pour atteindre ces objectifs, Condorcet envisage l’organisation de conférences hebdomadaires dans les écoles secondaires de district, l’institution d’un enseignement ouvert dans les instituts départementaux et la participation aux fêtes nationales, conçues comme un moyen privilégié de formation civique.L’éducation par le travail dans le plan Le PeletierLe contenu du plan Le Peletier confirme le point de vue selon lequel la pensée politique et pédagogique de Rousseau serait plus proche de l’idéologie montagnarde que des autres courants doctrinaux qui se sont succédé au cours de la Révolution. En effet, ce plan est caractérisé, entre autres, par la force des préoccupations démocratiques, par le souci de faire prévaloir l’éducation sur l’instruction, par le rôle attribué au travail dans la formation de l’homme, par l’importance conférée à la première éducation et par l’austérité et la frugalité des règles de vie et du régime prévus pour les maisons d’éducation nationale.Ces maisons sont des internats conçus pour assurer des chances égales aux enfants des campagnes et à ceux des villes, âgés de cinq à douze ans. L’enseignement est gratuit, laïque et obligatoire. Les dépenses d’enseignement sont en partie couvertes par le produit des travaux accomplis par les élèves. La surveillance et la gestion des maisons d’éducation sont confiées à des conseils de pères de famille. L’importance de la recherche n’échappe pas aux vues de Le Peletier: «Ouvrez vos trésors pour récompenser sur chaque partie les meilleurs ouvrages, et cette munificence même enrichira la République. Je pousserai encore plus loin cette idée, et j’ose attester que la société et l’humanité pourraient recueillir d’importants avantages de l’établissement de prix annuels proposés à quiconque aura conçu une pensée utile sur l’éducation, et ajouté un bon article au code de l’enfance.»Après l’éducation commune, les meilleurs élèves sont, par voie de sélection, affectés à douze ans dans les écoles secondaires. Quant à la grande majorité des adolescents, elle est prise en charge par les familles, qui ont la responsabilité du placement professionnel.Ainsi, à l’emprise constante de l’État sur l’enfant succèdent, à partir de l’âge de douze ans, les exigences du libéralisme économique, consacré par les lois de 1791, et qui ne se confond pas nécessairement avec la libération de l’individu.Le plan Le Peletier n’est pas plus appliqué que le rapport de Condorcet.En revanche, l’essentiel des réalisations durables de la Révolution se situe au niveau des établissements supérieurs (École normale, École polytechnique, Conservatoire des arts et métiers), destinés aux classes aisées. Mais les thèmes de la démocratisation, abordés dans les grands projets révolutionnaires, ont constitué le principal enjeu des luttes scolaires du XIXe siècle.3. Économie et éducation: écoles mutuelles du début du XIXe siècleL’apport du XIXe siècle à l’histoire de l’éducation réside, d’une part, dans la différenciation des institutions scolaires, d’autre part, dans l’essor de l’éducation populaire à tous les niveaux, depuis le stade préscolaire jusqu’à la formation des adultes.À ce propos, la multiplication des écoles mutuelles sous la Restauration représente un essai intéressant et audacieux d’organisation d’un enseignement élémentaire de masse.Après la chute de Napoléon, les exigences ou les effets de la première révolution industrielle rendent de plus en plus sensible le décalage entre les besoins d’instruction et les moyens dont on dispose pour satisfaire ces besoins. Ce n’est pas un hasard si l’enseignement mutuel se développe d’abord en Angleterre, pays dont l’industrie est la plus avancée aux XVIIIe et XIXe siècles. Les industriels de l’époque voient dans le système mutuel, qui consiste à confier plusieurs centaines d’élèves à un seul maître assisté de moniteurs, un moyen de formation rapide et économique et la possibilité de développer chez les travailleurs des habitudes de régularité, d’ordre et de réflexion. L’enseignement mutuel doit aussi, d’après eux, permettre d’instaurer ou de maintenir la paix sociale, menacée par la reconstitution des associations ouvrières. Entre 1815 et 1820, plus de mille écoles mutuelles s’édifient en France et rassemblent plus de cent cinquante mille élèves. Les recrues sont réparties par niveaux. Le passage d’une catégorie à l’autre s’effectue selon des règles strictes d’avancement. Les élèves se groupent en demi-cercles autour des moniteurs de lecture ou prennent place devant de longues tables au bout desquelles d’autres moniteurs, munis de modèles d’écriture ou de tableaux de grammaire et de calcul avec questions et réponses, règlent dans les moindres détails, par coups de sifflet ou gestes conventionnels, les exercices scolaires ou les déplacements. L’instituteur dirige l’ensemble des activités du haut de sa chaire. Les fautes, sanctionnées par un tribunal d’enfants, sont rachetables au moyen de billets donnés à titre de récompense.Les écoles mutuelles suscitent à leur début un engouement parfois excessif dans les milieux industriels ou chez l’élite intellectuelle. On y voit le moyen de surmonter les difficultés engendrées par l’industrialisation et l’urbanisation. Mais le sort de ces écoles sera étroitement lié aux fluctuations de la vie politique et à l’évolution de la législation scolaire. L’enseignement mutuel disparaîtra à l’aube de la IIIe République.Il occupe pourtant une place privilégiée dans l’histoire de l’éducation. Il représente, en effet, l’illustration remarquable d’un modèle pédagogique, l’essaimage ou la démultiplication, qu’on retrouve sous d’autres formes ou à d’autres époques. Il procède lui-même d’un certain courant moral et idéologique, le mutuellisme, qui anime, entre autres, les sociétés de secours mutuel. Il implique enfin des efforts de rationalisation de l’acte éducatif et le double souci de proposer aux élèves des exercices gradués et de contrôler systématiquement les effets du travail scolaire. À ce titre, il préfigure l’une des tendances dominantes de la pédagogie moderne.Cependant, l’organisation d’un véritable enseignement populaire se heurte à certaines contradictions propres à l’économie libérale du XIXe siècle. Instruire les enfants du peuple, c’est sans doute réaliser un investissement, à long terme, rentable. Mais c’est aussi se priver, dans l’immédiat, d’une main-d’œuvre enfantine à bon marché. C’est également risquer de favoriser la propagation des idées nouvelles, jugées subversives. Aussi, paradoxalement, le taux d’alphabétisation a-t-il très peu augmenté en Angleterre au cours des premières décennies de la révolution industrielle.4. L’éducation intégrale et polytechnique dans la pensée socialiste du XIXe siècleEn instituant un enseignement primaire obligatoire, gratuit et laïque, les législateurs de la IIIe République se réfèrent explicitement aux principes qui ont marqué l’œuvre scolaire de la Révolution. À l’application de ces principes, les représentants de la pensée ouvrière et socialiste associent, au XIXe siècle, la réalisation d’une éducation intégrale et polytechnique.L’éducation intégrale concerne, à la fois, le développement harmonieux de toutes les capacités humaines et la préparation de l’individu aux tâches proposées par une société en plein essor. Elle répond à des préoccupations différentes. En premier lieu, elle est censée satisfaire le besoin de diversité, la «papillonne», qui, selon Charles Fourier (1772-1837), constitue une «passion» unificatrice des conduites. Elle procède aussi de considérations d’ordre social: en supprimant la distinction entre travail manuel et travail intellectuel, l’éducation intégrale, polyvalente, devient facteur d’égalité. Elle répond enfin aux nécessités du progrès technique en préparant l’adaptation du travailleur aux tâches variées et changeantes de l’industrie moderne.La notion d’éducation intégrale est d’abord développée par Fourier et ses disciples. Elle implique à la fois une pédagogie libérale et une valorisation de certaines disciplines comme les arts, l’éducation physique et le travail manuel. À ce propos, Karl Marx inclut dans tout programme éducatif la formation intellectuelle, la gymnastique et l’«instruction technique qui initie les enfants aux principes fondamentaux de tous les processus de production et, en même temps, donne à l’enfant ainsi qu’à l’adolescent l’habitude de se servir des instruments simples de toutes les productions» (Premier Congrès de l’Internationale socialiste, 1866). L’application d’un tel programme fut décidée durant la courte existence de la Commune de Paris.Dans la mesure où elle rend possible l’adaptation aux changements qui affectent le monde social et professionnel, l’éducation intégrale, indissociable de l’éducation permanente, réalise, d’une manière originale, la liaison entre l’école et la vie.5. «L’école et la vie» selon Dewey et MakarenkoLa conception des rapports entre l’école et la vie est au centre des préoccupations des pionniers de l’éducation nouvelle. On connaît la célèbre formule d’Ovide Decroly (1871-1932): «L’école par la vie et pour la vie.» Envisagée dans son acception la plus large, cette formule désigne les différentes formes de «décloisonnement» ou d’intégration des activités scolaires et extrascolaires: l’école va à la vie, ouvre ses portes à la vie et constitue un milieu vivant.Les grands écrivains pédagogiques adoptent cependant des attitudes parfois divergentes lorsqu’il s’agit d’envisager concrètement les relations entre l’école et les exigences actuelles ou futures de la vie sociale.Dans son «Credo pédagogique» (1897), le pédagogue américain John Dewey (1859-1952) expose en ces termes l’ambiguïté de la pédagogie: «Je crois que l’éducation est un processus de vie, et non une préparation à la vie.» Il entend par là refuser d’imposer à l’enfant des préoccupations d’adulte. Il préconise au contraire de développer chez lui le sens du présent, de favoriser la libération de sa spontanéité, la satisfaction de ses intérêts, bref de le laisser vivre.Toutefois, comment préparer l’enfant aux exigences d’un monde caractérisé, selon Dewey, par les progrès de la science, la révolution industrielle et la démocratie? Il s’agirait de concevoir un milieu pédagogique assez semblable au milieu adulte, mais moins complexe que lui. «Je crois que l’école, en tant qu’institution, doit simplifier la vie sociale existante, doit la réduire, pour ainsi dire, à une forme embryonnaire.» Les expériences réalisées dans un milieu éducatif approprié doivent permettre à l’enfant d’acquérir les qualités fondamentales dont il aura besoin pour s’adapter à la vie sociale et professionnelle.En soulignant, à la fois, les particularités des besoins de l’enfant et la nécessaire continuité des expériences propres aux différents âges, Dewey défend plus ou moins explicitement les principes d’une pédagogie progressive, génétique, et d’une éducation permanente.Mais les expériences de l’adulte ne sont-elles pas qualitativement différentes de celles de l’enfant? Le comportement de celui-ci n’est-il pas, en outre, déterminé, au moins en partie, par l’idée qu’il se fait de l’avenir, que celui-ci soit perçu comme chargé de menaces ou de promesses? L’efficacité de toute pédagogie ne se trouve-t-elle pas alors étroitement liée aux perspectives du développement de la société?À ce propos, le pédagogue soviétique Anton Semionovitch Makarenko (1888-1939) tire d’une expérience vécue dans une colonie de jeunes délinquants les grands principes d’une méthode de rééducation d’adolescents marqués par la guerre et la révolution. Il insiste sur la nécessité d’organiser le travail collectif et d’associer l’activité de la colonie aux tâches les plus urgentes de la société. Les jeunes délinquants participent, par exemple, à des expéditions punitives contre les distillateurs clandestins. À la faveur de ces tâches, une conversion profonde s’opère chez les individus, la loi de la jungle et de la violence est bannie, l’intérêt individuel s’identifie de plus en plus à l’intérêt collectif, tandis que des aspirations nouvelles se manifestent dans les activités professionnelles et les comportements de loisir.Deux thèmes pédagogiques retiennent l’attention de Makarenko. Tout d’abord, l’organisation de cette colonie. Il s’agit d’une collectivité «qui a ses traditions, son histoire, ses mérites, sa gloire». Sans doute, «les nouvelles et généreuses impulsions d’ordre collectif ne naissent-elles pas en un jour», mais elles se manifestent plus rapidement que «si nous fondons nos espoirs sur la transformation individuelle». Le second thème éducatif concerne le développement des buts: «L’homme ne peut pas vivre sur terre s’il n’aperçoit pas devant lui quelque chose de réjouissant... Élever l’homme, c’est faire naître en lui des lignes perspectives d’après lesquelles s’organiseront ses joies de demain.»Aujourd’hui, la question des relations entre l’école et la société suscite d’autres formes institutionnelles ou de nouveaux thèmes de discussion: participation des élèves et des parents à la gestion des établissements d’enseignement, transformation de ceux-ci en foyers d’animation culturelle ou d’éducation permanente, conception de liens originaux entre monde scolaire et monde professionnel, recherche difficile de débouchés qui soient à la mesure de l’accroissement considérable et de la diversification des populations en situation de formation.Ces problèmes se posent d’une manière souvent angoissante dans un contexte politique, socio-économique et culturel dont on a maintes fois souligné les tensions et les sources d’aliénation. Aussi, l’exigence d’une amélioration des rapports entre l’école et la vie ou des relations entre enseignants et enseignés se prolonge-t-elle, en mai 1968, par la mise en cause des structures de la société et, plus précisément, de l’accueil que celle-ci réserve aux jeunes.Ce mouvement de portée universelle représente, lui aussi, un grand moment de la pédagogie.
Encyclopédie Universelle. 2012.